Une causerie sur le Bataillon de Corée 

Par le Lieutenant-colonel François de Germiny

Commandant du BF ONU en 1953 devenu Régiment de Corée en Indochine

Cet article est paru dans le PITON n°64 de mars 2015 pages 12 à 15           

Ce texte dactylographié a été envoyé par l’ancien caporal Jean-Marie SCHILTZ à Louis-René THEUROT qui lecture faite en a saisi toute la portée historique. Il écrivait en préambule de l’article … « L’ancien secrétaire de PC que j’avais été reconnaissait le genre de travail que nous faisions avec les moyens de l’époque. A la lecture, je découvrais une histoire : Celle du Bataillon en Corée. Certes, ce n’était pas une découverte. Cette histoire je la connaissais, il ne manque pas d’ouvrages sur cette épopée, mais je ne pouvais qu’admirer le style et la façon de tout dire en quelques pages » … Il s’agit du texte d’un discours prononcé, à Saïgon, devant le général Navarre lors de la réception du bataillon devenu Régiment de Corée, venant récemment de débarquer, c'est-à dire aux environs du 1er novembre 1953.

Louis René THEUROT

 

« J’essayerai de vous relater quelques faits, de vous parler de quelques hommes, de vous décrire un esprit. Les faits, ce sont ceux que le Bataillon a vécus. Les hommes,ceux sont nos volontaires du Bataillon. L’esprit, c’est celui qui animait les Forces des Nations Unies. Telles seront, Messieurs, les trois étapes de ma causerie.

*  *

Mis sur pied au cours de l’automne 1950, le Bataillon français de l’O.N.U. arriva dans le port de PUSAN le 28 novembre de la même année. Il était commandé par le général MONCLAR qui avait dû, pour l’occasion, renoncer à ses étoiles et reprendre les galons de lieutenant-colonel : à vrai dire, le général MONCLAR était là avec le titre de Commandant des Forces Françaises Terrestres de l’O.N.U. ; le Bataillon lui-même était directement commandé par le Chef de Bataillon LEMIRE qui devait être remplacé, quelques mois plus tard, par le Commandant de BEAUFOND. Le jour même où le Bataillon arrivait à PUSAN, le 28 novembre, les Chinois franchissaient le Yalu avec 30 divisions ; ils inauguraient, ainsi, la 3ème phase de la guerre, transformant, comme vous le savez, les conditions politiques du conflit.

Ce que fut cette 3ème phase, vous vous en souvenez : les Forces Alliées obligées d’abandonner le Yalu et d’exécuter une manœuvre en retraite difficile mais qui fut, d’ailleurs, magnifiquement réussie, le 38° parallèle de nouveau franchi par l’ennemi et SEOUL occupée par lui. Puis, la résistance alliée se durcissant, l’ennemi ralenti et de furieux combats livrés pour l’arrêter. C’est au cours de ces combats que le Bataillon français est engagé pour la première fois.

La ville de WONJU constitue, alors, dans le secteur central, un nœud de communications particulièrement important qu’il s’agit de conserver pour assurer le regroupement des Forces alliées. La 2ème Division U.S. couvre WONJU avec ses trois régiments d’infanterie : 9ème, 25ème et 38ème.

La 2ème Division est en Corée depuis le mois d’août 1950, c’est une magnifique division au passé glorieux. Créée en 1917, elle a participé aux opérations de la fin de la première guerre mondiale. Pendant la deuxième guerre mondiale, elle a de nouveau combattu en France, de la Normandie à la frontière belge. Le Bataillon français lui est destiné : il arrive et on le rattache au vaillant 23ème Régiment auquel il ne cessera d’appartenir depuis lors. Le 7 janvier, il est engagé et placé à la gauche du 23ème avec mission de couvrir le flanc de la Division.

Le terrain est très accidenté, les conditions atmosphériques rigoureuses, il fait très froid (- 25°). La neige couvre le sol sans, toutefois, trop gêner la circulation à pied, le vent aggrave encore ces conditions.

Le Bataillon est à peine installé que les chinois attaquent. Ils sont nombreux et ardents, cherchent soit à s’infiltrer, soit à enlever nos points d’appui. Des mortiers et de l’artillerie les aident mais le bataillon tient. Il tient pendant 5 jours de combats ininterrompus, livrés jusqu’au corps à corps et à la baïonnette. Il tient tant que sa mission le lui impose. Ce n’est que le 12 janvier, et 13 heures après, que le reste du 23ème régiment et de la division dont il a couvert le repli, qu’il reçoit l’ordre de décrocher à son tour. Il le fait en bon ordre.

Ainsi, dès son premier engagement, le bataillon français a prouvé sa valeur et, à la mesure de ses moyens, il a joué un rôle décisif. De haute lutte, il s’est imposé, non seulement aux chinois mais à ses camarades U.S. Il a acquis droit de cité à la 8ème Armée. Le commandant américain en a été frappé et, désormais, lui accorde sa confiance. Cette confiance sera toujours justifiée.

Par des actions analogues à celle de WONJU, les alliés ont freiné l’avance chinoise et se sont donné le temps nécessaire au montage de leur contre-offensive. Celle-ci est prête, elle est lancée le 31 janvier et c’est la 4ème phase qui commence.

A leur tour, les chinois se dérobent. Avec un Bataillon du 23ème, il constitue un groupement chargé de pousser hardiment sur un axe routier. A la fin de cette même journée du 31, il arrive à une sorte de défilé où une voie ferrée traverse deux tunnels d’où le nom de TWIN TUNNELS, donné par les américains à ce lieu. Les deux bataillons s’installent en dispositif gardé sur les hauteurs, de part et d’autre de l’axe routier.

A 4 heures du matin, le 1er février, une violente attaque chinoise se déclenche sur l’ensemble de la position. Contre le seul bataillon français, c’est tout un régiment de chinois qui se lance à l’assaut, appuyé par de nombreux mortiers et par de l’artillerie.

De notre côté, l’artillerie fait défaut, elle n’a pas pu suivre la progression de la veille. La lutte est sévère, elle dure jusqu’à 14 heures et c’est grâce à l’intervention de l’aviation que les unités sont dégagées. Elle est sanglante. En 10 heures, le bataillon français a eu 32 morts dont 3 officiers et 180 blessés. Mais les chinois ont été repoussés, ils se replient.

Nous les suivons et, le 3 février, au combat de TWIN TUNNELS, le bataillon français, et le bataillon américain qui était avec lui, arrivent à CHIPYONG-NI. Le 4, le reste du 23ème les rejoint avec des chars en renforcement. Tout le régiment s’installe en hérisson fermé car il faut donner, au gros de la division, le temps de le rejoindre. Des patrouilles sont lancées, le contact est pris avec les chinois, de petits accrochages ont lieu. Brutalement, le 12 à 22 heures, notez cet usage de la nuit en réponse à notre supériorité aérienne, attaque générale des chinois sur l’ensemble du périmètre. Une division chinoise entière participe à l’opération avec de nombreux mortiers et de l’artillerie. L’encerclement est total, il durera 3 jours et les troupes encerclées devront être ravitaillées par parachutages. Mais elles tiendront et le bataillon français également. Sa position ne sera pas entamée et il reprendra même un piton qu’une unité voisine s’est laissé enlever. Une fois de plus, son attitude aura été irréprochable.

A la côte 1037, trois semaines plus tard, il aura enfin la fierté, non plus de défendre une portion de terrain à lui confier, mais de chasser l’ennemi de ses positions. Il s’agit, pourtant, d’un objectif que son altitude, et ses pentes abruptes, rendent particulièrement coriace, le bataillon agit seul avec l’appui d’une batterie d’artillerie.

Le 4, il se lance à l’attaque, il échoue. Mais il ne renonce pas et, le 5, au prix d’efforts inouïs, et de lourdes pertes, il réussit. Il se cramponne alors à son objectif face à la contre-attaque chinoise, qui se déclenche, et que notre aviation aide à bloquer. Le bataillon a payé un prix élevé : 30 tués dont 2 officiers et plus de 150 blessés. Mais il est victorieux et lorsque, quelques jours plus tard, le 38ème parallèle est de nouveau franchi, il peut s’enorgueillir d’avoir apporté sa contribution au succès. Mais ce succès ne va être que provisoire. De nouveau, l’adversaire s’efforcera de rompre l’équilibre. Malgré ses pertes en tués, blessés et prisonniers, il a pu reconstituer ses forces et, de nouveau il va rechercher la décision.

Le 22 avril 1951, il lance une nouvelle offensive générale, particulièrement violente aux deux ailes du front, c’est la 5ème phase.

La 8è Armée, encore une fois, doit manœuvrer en retraite mais elle fera payer cher son avance à l’ennemi, lequel, d’ailleurs, ne pourra s’enfoncer très profondément en direction du sud. Passant sur les opérations de freinage où le bataillon est pourtant l’occasion de se distinguer, je voudrais simplement signaler pour cette période, le plus important, et le plus utile des engagements auxquels il prend part, celui de SOYANG-NI.

Nous sommes le 17 mai, les communistes attaquent depuis plus de trois semaines. Dans le secteur est, où se trouve la 2ème division, ils vont tenter un ultime effort. Ils pénètrent profondément entre le 3ème Corps Coréen et le Xème Corps Américain.

Avec le 23ème régiment, dont il couvre le flanc gauche, le bataillon reçoit mission de les retarder. Les chinois sont innombrables et particulièrement agressifs. Ils pénètrent dans notre dispositif, qui est très étiré à droite et à gauche du bataillon et, là, pressent sévèrement le front. Le bataillon tient toute la journée du 17, la nuit suivante et la matinée du 18. A sa droite, le 23ème a reçu l’ordre de se replier. Il l’a fait avec difficulté car les chinois ont établi un bouchon sur la route même de repli du 23ème. Le bataillon reste seul. A 17 heures, il reçoit l’ordre de décrocher ; il le fait avec brio, retrouve les camions qui l’attendent et, suivant le plan du commandant, se dérobe à 30 kilomètres. Les chinois poussent dans le vide puis, à court de ravitaillement, s’arrêtent.

Ils sont au terme de leurs efforts et la 3ème contre-offensive des Nations-Unies peut se déclencher.

Avec la 2ème division, le bataillon français attaque à INJE puis il prend part à la poursuite qui ramènera les alliés, et cette fois définitivement, au nord du 38ème parallèle. Ainsi, au cours des cinq premiers mois de cette année 1951, le bataillon a presque constamment manœuvré ou combattu. Il a pris part à 5 opérations majeures. Il l’a fait, le plus souvent, dans des conditions extrêmement dures. Dures du fait du combat, dures du fait du pays dont le relief est d’une attitude très élevée, des formes très mouvementées,  avec des pentes très raides, dures du fait des conditions atmosphériques qui, pendant l’hiver, ont été très rigoureuses, dures enfin parce que l’équipement, l’habillement, le ravitaillement, malgré les efforts faits par les logisticiens américains, n’avaient pas encore atteint la quasi perfection qu’ils atteindraient par la suite. C’est, roulés dans une couverture, au creux d’un fossé de route ou à l’abri d’un buisson sur quelque piton que les volontaires du bataillon passèrent leur nuit d’hiver quand ils n’avaient pas à les employer à manœuvrer ou à combattre.

En juin 1951, au moment où le camp adverse faisait connaître son désir de négocier et montrant, ainsi, qu’après trois essais infructueux, il renonçait à s’emparer de la Corée du Sud, le Bataillon français pouvait prendre sa juste part de succès : trois citations présidentielles américaines dont les flammes représentatives, accrochées à notre fanion, portent les noms de TWIN-TUNNELS, CHIPYONG-NI et SOYANG et trois citations françaises à l’Ordre de l’Armée, sanctionnant ses pertes et ses sacrifices.

L’espoir soulevé dans le monde par l’ouverture des négociations de PAN-MUN-JON allait être longtemps déçu. Pour les combattants, la guerre continuait mais elle allait changer de forme. A cette guerre de mouvement dure, souvent épuisante, mais passionnante, allait succéder une période de stabilisation progressive qui finirait par prendre l’allure de la guerre de positions des années 15-17... Comme cette dernière, elle devait connaître de violents combats. Disons de ceux auxquels le bataillon prit part.

En septembre 1951, CREVECOEUR. Il s’agit, alors, pour le commandement allié, d’améliorer, dans le secteur est, une situation que la fin de l’offensive en juin a laissée par trop défavorable et d’enlever, à l’ennemi, un massif important, celui qui gardera le nom de HEARTBREAK RIDGE, CREVECOEUR. Les opérations durent un mois, du 12 septembre au 12 octobre car il faut enlever à l’ennemi, un à un, une série de points forts où il s’est fortement retranché.

Pour le bataillon, ces opérations culminent dans l’enlèvement de la côte 931. Le 23ème a reçu mission d’enlever la côte. Par trois fois, il a échoué. C’est, alors, au tour du bataillon français d’être engagé. Le 23 septembre, il se lance à l’assaut, il échoue, et le capitaine Goupil, commandant la 2è Cie, est tué héroïquement. Le 27, nouvelle tentative, nouvel échec. Le général MONCLAR propose, alors, et impose, au commandement américain, un nouveau plan.

Au lieu d’attaquer vainement, sur cette arête montante, étroite qui ne permet pas de manœuvrer, il faut tenter un débordement à la faveur de la nuit. Après une progression longue et difficile, le sous-lieutenant DU REAU, avec sa section, surprend un bataillon chinois. Il est bientôt rejoint par le reste du bataillon qui a suivi. Après un rapide combat, la position est enlevée. Par les efforts et les sacrifices qu’il a demandés, CREVECOEUR restera, pour les anciens du bataillon, parmi les plus durs souvenirs de la campagne. Je crois qu’il en est de même pour beaucoup de nos alliés.

Un an après, octobre 1952, la côte 281, ARROWHEAD, le bataillon est commandé par le lieutenant-colonel BORREIL, qui a succédé, en décembre 1951, au général MONCLAR. Il se trouve dans la région du fameux triangle de fer dont les sommets sont marqués par les villes en ruines, de CHORWON, KUMHWA et PYONGGANG.

Ce triangle commande deux des principales voies d’invasion en direction du sud, menant, l’une et l’autre, à SEOUL. Les alliés tiennent CHORWON et KUMHWA, PYONGGANG est aux mains des communistes. De PYONGGANG à CHORWON, une vallée large de cinq à six kilomètres (ce qui est exceptionnel) et plate, véritable couloir d’invasion. Sur le flanc ouest de cette vallée, et la commandant, deux importants mouvements de terrain, le CHEVAL BLANC (WHITE HORSE) tenu par la 9ème Division Coréenne, et la côte 281 (ARROWHEAD) tenu par le Bataillon français, élément de droite de la 2ème division U.S. Le bataillon français est monté en ligne le 3 octobre. Dès le 5, les tirs d’artillerie et des mortiers chinois s’intensifient, signe qui corrobore les renseignements que le commandement a, par ailleurs, sur l’imminence d’une attaque chinoise. Sur le WHITE HORSE, les préparatifs ennemis sont les mêmes.

Dans la journée du 6, les tirs deviennent impressionnants et, le 6 au soir, l’attaque se déclenche. Après une lutte héroïque et, comme le prescrivait leur mission, les pionniers, du moins ceux qui survivent, se replient de la position des avant-postes qu’ils occupaient sur la position principale tenue par la 1ère Cie. Leur chef, le lieutenant PERRON a été quatre fois blessé. Dans l’enfer du bombardement, on ne sait plus où il est, on le croit mort. En fait, il a perdu connaissance, reviendra à lui, sera fait prisonnier, mais s’échappera. Il les rejoindra au bout de deux jours après des aventures extraordinaires.

L’attaque chinoise vient buter devant la position tenue par la 1ère Cie, commandée par le lieutenant POUPARD. Là aussi, l’appui d’artillerie chinoise est considérable : 25 000 coups sont tombés sur l’ensemble de nos positions du 6 octobre, 6 heures, au 7 octobre 6 heures, les effectifs d’assaut également. Tout un régiment chinois, le 339, est engagé bataillon par bataillon. Il laissera d’ailleurs 600 cadavres sur le terrain. La position tient, les renforts américains peuvent arriver et l’artillerie américaine.

L’attaque chinoise échoue. A droite, les coréens ont été entamés mais ils lancent des contre-attaques. Le bataillon, encore menacé sur son front, couvre et appuie les unités coréennes et, finalement, WHITE HORSE est sauvé, comme ARROWHEAD l’a été. La résistance française sur ARROWHEAD a profondément impressionné nos chefs et nos amis américains. Ils en concluent qu’il vaut mieux tenir sur place qu’abandonner une position et la reconquérir. Mais beaucoup d’entre eux m’ont dit, avec la simple franchise qui les caractérise, que peu de bataillons auraient pu tenir comme le bataillon français le fit.

CREVECOEUR et ARROWHEAD ont marqué, pour le bataillon français, deux moments dramatiques de la période de stabilisation. Ces deux moments ne doivent pas faire oublier les longs séjours en ligne dans des secteurs soi-disant calmes mais où il fallait être en perpétuelle alerte, encaisser les tirs de réglage ou de harcèlement ennemi, faire front aux attaques partielles, lutter contre les intempéries et se livrer, la nuit, cette extraordinaire activité caractéristique de la guerre de Corée : patrouilles, embuscades, coups de mains, veilles, ravitaillement relèves dans une tension et une usure perpétuelle des unités et des hommes.

Nuits de Corée aux clairs de lune étincelants qui facilitaient les mouvements de ravitaillement et de relève, décourageaient les patrouilleurs ennemis, mais n’aidaient pas les nôtres, nuits obscures propices aux approches silencieuses, aussi favorables aux infiltrations chinoises qu’aux nôtres et que servant de mortiers et artilleurs toujours pour nos guetteurs prêts à lancer des obus éclairants ou à déclencher leurs tirs d’arrêt.

Après ces nuits, dans les deux camps, tout le monde s’assoupissait et la Corée méritait, une seconde fois, son nom de « pays du matin calme ». Telle est, tracée à grands traits, l’histoire du bataillon français en Corée. Tels sont les faits dont je vous annonçais le rapide exposé.

*  *

Cette histoire, qui l’a vécue ? Ces faits, qui en ont été les auteurs ? Bref, quels étaient les hommes ? C’est ce que je voudrais vous dire maintenant. La réponse est simple : les hommes c’étaient des français, des français de toutes les sortes, français de Normandie ou de Provence, du Sénégal ou d’Algérie, français des villes ou de la campagne, français d’active ou de réserve. Tous, étaient volontaires. Ils étaient venus en Corée, attirés par le goût de l’aventure et par le désir de se battre, la plupart étaient venus aussi se mettre au service d’un idéal. Ils savaient contre qui et pourquoi ils faisaient la guerre. Mais d’autres ne s’en souciaient pas et, certains même, étaient venus parce que leur vie sentimentale, ou professionnelle, leur avait donné des mécomptes. Mais, tous, au creuset du bataillon, et à l’épreuve du combat, revêtant une âme commune. Un sentiment très fort les animait alors, la fierté d’être français et la volonté de faire honneur à leur bataillon et à leur pays. Quelquefois, leur instruction militaire était incomplète et tout l’art du chef était de tirer parti de tous.

J’avais, dans mon bataillon, un vieux brave qui avait appartenu à l’armée de l’air, comme rampant. C’était un vendéen, certes animé des intentions les plus agressives à l’égard de nos adversaires, mais que son âge, pas plus que ses aptitudes militaires, ne prédisposaient aux fonctions de voltigeur d’assaut. Je lui avais confié la charge de nos terrains d’hélicoptères qui devaient être toujours prêts à recevoir au P.C. les hélicoptères médicaux d’évacuation ou pour ceux de nos généraux en visite ou en inspection. Jamais nos terrains ne furent mieux établis, jalousement parés, et entretenus, que par ce fidèle serviteur. Chaque fois qu’un hélicoptère s’annonçait, il était là, signalant l’emplacement, guidant le pilote de ses gestes, réparant ensuite les dommages causés par le souffle des pales.

Il eut son grand jour, ce fut lorsque le maréchal JUIN vint nous voir alors que nous étions en ligne. Le général ALLARD, le général TAYLOR, commandant de l’armée, le général KENDELL, commandant le 1er corps, le général FRY, commandant la 2ème division, l’accompagnaient. Cinq hélicoptères à la fois, quelle apothéose. Mais nous avions, aussi, Dieu merci, nos combattants d’élite, vétérans de la 2ème guerre mondiale ou des campagnes d’Indochine, ou jeunes engagés attirés par le combat.

C’est sur eux que les commandants de compagnie, et les chefs de section, comptaient pour les patrouilles dangereuses et les embuscades délicates. Ils formaient le noyau autour duquel leurs camarades s’agglutinaient chaque fois qu’il y avait quelque chose de dur à exécuter. Ils étaient particulièrement nombreux à notre section de pionniers, spécialistes des actions de nuit, et prêts à avoir à mettre en œuvre les sniperscopes : fusils à dispositif infra-rouge permettant de voir et de viser la nuit. C’est avec eux et, grâce à eux, que de jolis coups ont été réussis. Mais tous ne pouvaient pas avoir la fierté du corps à corps. Utiles aussi, ô combien ! étaient les servants de nos armes d’appui et je pense, tout particulièrement, aux hommes de notre section de mortiers de 81 qui avaient fait, leur, la devise des artilleurs britanniques : « on the minute ».

Je serais injuste si, en parlant de nos hommes, j’omettais de mentionner nos soldats coréens, nos soldats ROK, comme on disait, d’après les initiales de la « REPUBLIC OF KOREA ». Lors des premiers engagements de 1951, les pertes du bataillon avaient dû être compensées par l’incorporation de soldats coréens qui permirent au bataillon de rétablir ses effectifs sans attendre les renforts de France, longs à venir. Puis la situation se régularisera. Les unités américaines, elles aussi, recrutèrent des coréens et, finalement, c’est environ 200 soldats coréens, soit le sixième de son effectif, que le bataillon français compte dans ses rangs.

Ces coréens étaient, pour le plus grand nombre, groupés dans une Cie, la 2ème, la Cie du capitaine GOUPIL qui fut tué à leur tête, la 2 était notre Cie ROK. Les autres étaient, pour la plupart, brancardiers. Tous furent admirables, leur courage, leur discipline, leur tenue, leur fidélité fut au-dessus de tous les éloges. Nombreux sont ceux qui tombèrent dans nos rangs. Parmi eux, nous avons appris à connaître, et à estimer, le soldat coréen et le peuple coréen et avoir foi dans l’avenir de ce dernier.

Lorsque nos chers roks durent nous quitter, avant que nous partions pour l’Indochine, leur tristesse était touchante, beaucoup auraient voulu rester avec nous et, tout particulièrement, ceux qui étaient de COREE DU NORD. Certains voyant, avec l’armistice, leur chance de retour chez eux s’éloigner.

Ces hommes, français ou ROK, étaient entre les mains d’une pléiade de jeunes chefs, venus, eux aussi, de toutes les armes, mais animés de la même foi et de la même volonté, et que leur troupe aurait suivi partout.

Je vous ai dit que nos volontaires français étaient tout particulièrement aiguillonnés par leur fierté et leurs responsabilités de français. Je dois dire, aussi, qu’ils étaient très vite sensibles à l’esprit vraiment magnifique qui animait les forces des Nations Unies, combattant au sein de la 8ème armée, esprit dont je voudrais maintenant vous parler.

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Bien évidemment, cette 8ème armée était d’abord américaine. Elle l’était par son commandement, par ses services, par le nombre de ses G.I. U.S. mais elle comprenait, aussi, un certain nombre de groupes des unités coréennes, divisions, corps d’armée, qui allaient croissant. Et elle comportait aussi des unités des Nations Unies dont le rôle, militaire et moral, dépassait de beaucoup l’importance numérique.

Il y avait la magnifique 1ère division du Commonwealth, la valeureuse brigade turque et une série de bataillons belgo-luxembourgeois, colombien, éthiopien, grec, néerlandais, philippin, thaïlandais et français. Plus les unités non combattantes : hôpitaux danois, indiens, italiens et norvégiens, navire hôpital suédois.

A la 2ème division, à laquelle nous appartenions, chacun des régiments d’infanterie était renforcé d’un bataillon des Nations Unies. C’est, ainsi, que le 9ème régiment avait le bataillon thaïlandais et que le 38ème régiment avait le bataillon néerlandais, tandis que nous étions rattachés à notre 23ème.

Lorsque monsieur REYNAUD vint nous rendre visite, alors que nous étions en ligne, en mars dernier, le bataillon, orphelin de son régiment, alors à la garde des camps de prisonniers, occupait le centre du dispositif divisionnaire, il avait, à sa droite, le bataillon thaïlandais et, à sa gauche, le bataillon néerlandais. Du fait des circonstances du moment, il était appuyé par de l’artillerie britannique, le tout dans le cadre américain. Vraiment, il s’agissait bien d’une armée internationale. Et cette armée était animée d’un esprit admirable d’amitié et de camaraderie, chacun était prêt à se dévouer pour tous et ne cherchait à se faire, chez le voisin, que des amis. Cette réussite est due, je n’en doute pas, à la qualité du commandement américain qui a su encadrer des unités de nationalités diverses, tout en respectant leur originalité, était due à la valeur militaire et morale de nos amis américains qui étaient toujours prêts à se faire nos amis. Elle est due aussi à la volonté des combattants des diverses nationalités, conscients d’être tous attelés à la même noble tâche.

Pour moi, j’ai beaucoup apprécié les liens d’amitié que j’ai eu l’occasion de nouer avec tant de beaux soldats et de loyaux camarades sous le signe de la simplicité et de la sincérité.

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Arrivé au terme de ma causerie, je souhaite, messieurs, n’avoir pas lassé votre attention et vous avoir donné du bataillon, de ce qu’il a fait, de ce qu’il était, du cadre moral qui l’entourait, une image pas trop infidèle. Certes, le bataillon n’a rien fait que d’autres n’eussent pu faire à sa place et que nos unités françaises, et vietnamiennes, ne fassent ici tous les jours dans des conditions souvent plus difficiles. Mais il a eu la chance d’être investi d’une mission exceptionnelle et la fierté d’y faire honneur. Cette mission, c’était de représenter la France dans la lutte des Nations Unies pour la liberté. Qu’il ait rempli sa mission, ses trois citations françaises à l’ordre de l’armée, ses trois citations présidentielles coréennes tendraient à le prouver. Il a donc quitté la Corée, la conscience tranquille, entouré d’ailleurs de témoignages de sympathie qui l’ont profondément touché. Le voici, maintenant, devenu Régiment de Corée. Sous cette nouvelle forme, nous savons que c’est, en quelque sorte, la même lutte que nous continuerons. Aussi y mettrons-nous la même foi que lorsque nous servions sous le drapeau bleu des Nations-Unies ».