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La chanson populaire française

En France les chansons de l’époque reflètent le sentiment antimilitariste des français qui ont vécu en deux générations deux guerres mondiales. L’implication de la France dans la guerre d’Indochine trouve naturellement une opposition dans le milieu artistique avec l’influence du parti communiste à la solde de Staline. L’engagement de la France dans la guerre de Corée sous l’égide de l’ONU n’échappe pas à cette opposition pour des raisons politiques évidentes. Le tableau de Pablo Picasso, d’une esthétique outrancière, contre la guerre de Corée en est la parfaite illustration. Dans cette discographie, je vous propose d’écouter trois chansons assez typiques de cette époque.

La première chanson est intitulée « Inventaire »  par le Frères Jacques

Enregistrement de 1950

Paroles de Jacques Prévert

Le célèbre poème Inventaire tiré de Paroles 1946 de Jacques Prévert énumère toutes sortes de sujets sans lien apparent entre eux : « …  Une douzaine d'huîtres un citron un pain un rayon de soleil une lame de fond six musiciens une porte avec son paillasson un monsieur décoré de la légion d'honneur un autre raton laveur ... » est marqué du sceau de deux guerres mondiales. L’inventaire à la Prévert est un must de l’humour avec l’interprétation fabuleuse des Frères Jacques.

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https://youtu.be/yv12F12ne_E

une triperie
deux pierres trois fleurs un oiseau
vingt-deux fossoyeurs un amour
le raton laveur
une madame untel
un citron un pain
un grand rayon de soleil
une lame de fond
un pantalon
une porte avec son paillasson
un Monsieur décoré de la légion d'honneur
le raton laveur
un sculpteur qui sculpte des Napoléon
la fleur qu'on appelle souci
deux amoureux sur un grand lit
un carnaval de Nice
une chaise trois dindons un ecclésiastique
un furoncle une guêpe
un rein flottant
une douzaine d'huîtres
une écurie de courses
un fils indigne
deux pères dominicains
trois sauterelles un strapontin une fille de joie
trois ou quatre oncles Cyprien
le raton laveur
une mater dolorosa deux papas gâteau
trois rossignols deux paires de sabots cinq dentistes
un homme du monde
une femme du monde
un couvert noir deux cabinets
deux petit' suisses un grand pardon
une vache un samovar
une pinte de bon sang
une monsieur bien mis un cerf-volant
un régime de bananes une fourmi une expédition coloniale
un cordon sanitaire trois cordons ombilicaux
un chien du commissaire un jour de gloire
un bandage herniaire
un vendredi soir
une chaisière un œuf de poule
un vieux de la vieille
trois hommes de guerre
un François premier
deux Nicolas II
trois Henri III
le raton laveur
un père Noël
deux sœurs latines
trois dimensions
mille et une nuits
sept merveilles du monde quatre points cardinaux
1 2 3 4 heures précises douze apôtres
quarante -cinq ans de bons et loyaux services
deux ans de prison six ou sept péchés capitaux
trois mousquetaires
vingt mille lieues sous les mers
trente-deux positions
deux mille ans avant Jésus-Christ
cinq gouttes après chaque repas
quarante minutes d'entracte
une seconde d'inattention
et naturellement
le raton laveur

La deuxième chanson est intitulée « Quand un soldat »  par Francis Lemarque 
Enregistrement de 1952
Musique et paroles de Francis Lemarque

Francis Lemarque naît Nathan Korb, dans une famille juive arrivée en France quelques années auparavant pour fuir les pogroms d'Europe de l'Est : son père, Joseph, juif polonais est tailleur pour dames et sa mère Rose est d'origine lituanienne. Il quitte cependant l'école dès 11 ans pour travailler à l'usine et devient naturellement communiste. Quand il décide d'écrire ce titre en 1952, c'est donc en toute connaissance de cause, avec un passé complexe, chargé de références, articulé autour de la guerre, de faits d'armes et d'engagements. En parolier, poète et intellectuel, celui, qui a rencontré après le Front populaire, Jacques Prévert, prend donc position et choisit avec soin ses mots pour dire ce qu'il a sur le cœur, et ce qu'il pense de ces nouvelles guerres de colonies. Dans le cas de la Corée, il se trompe car les occidentaux n’ont jamais colonisé la Corée (lire le texte consacré au film Moranbong tourné en Corée du Nord avec la complicité d’artistes français dont le chanteur-compositeur communiste Francis Lemarque). Pendant cette période de l’histoire de France, la gauche française était en plein aveuglement intellectuel vis-à-vis du communiste soviétique et avant la rupture sino-soviétique des années 1960. Il n’empêche qu’il convient de reconnaitre que l’artiste Francis Lemarque malgré son engagement politique auprès du parti communiste français au relent stalinien avait du talent. Partageant à cette époque un certain nombre d'idées et de valeurs depuis plusieurs années, c'est tout naturellement qu'Yves Montand reprendra la chanson Quand un soldat en 1953. 

https://www.youtube.com/watch?v=w_KokqQhZ7Q

Quand un soldat

Fleur au fusil tambour battant il va
Il a vingt ans un cœur d'amant qui bat
Un adjudant pour surveiller ses pas
Et son barda contre ses flancs qui bat
Quand un soldat s'en va-t-en guerre il a
Dans sa musette son bâton d'maréchal
Quand un soldat revient de guerre il a
Dans sa musette un peu de linge sale

Partir pour mourir un peu
A la guerre à la guerre
C'est un drôle de petit jeu
Qui n'va guère aux amoureux
Pourtant c'est presque toujours
Quand revient l'été
Qu'il faut s'en aller
Le ciel regarde partir
Ceux qui vont mourir
Au pas cadencé
Des hommes il en faut toujours


Car la guerre car la guerre
Se fout des serments d'amour
Elle n'aime que l'son du tambour

Quand un soldat s'en va-t-en guerre il a
Des tas de chansons et des fleurs sous ses pas
Quand un soldat revient de guerre il a
Simplement eu d'la veine et puis voilà…

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La troisième chanson est intitulée « La java des bombes atomiques » par Boris Vian

Enregistrement de 1955

Paroles et musique de Boris Vian

En 1949, les Etats-Unis font exploser leur première bombe à Hydrogène, beaucoup plus puissante que celles d’Hiroshima et de Nagasaki. En 1953 en pleine guerre de Corée les Soviétiques se lancent dans la fabrication de leur propre bombe Hydrogène qui explosera la première fois en 1954. L’équilibre de la terreur se met progressivement en place, d’où̀ sortira la théorie de « la dissuasion nucléaire de destruction mutuelle » ou en anglais « Mutual Assured Destruction » dont le sigle est MAD qui signifie la folie furieuse ou la dinguerie. Depuis la Guerre de Corée le monde vit dans l’angoisse du confit nucléaire.  Pour Boris Vian, la chanson est surtout l’occasion de brocarder les hommes politiques.

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La java des bombes atomiques par Boris Vian :

http://www.youtube.com/watch?v=eryzp0Pklc8

Paroles : http://www.lacoccinelle.net/283448.html

Mon oncle un fameux bricoleur faisait en amateur Des bombes atomiques
Sans avoir jamais rien appris c'était un vrai génie Question travaux pratiques

Il s'enfermait toute la journée au fond de son atelier Pour faire des expériences
Et le soir il rentrait chez nous et nous mettait en transe En nous racontant tout

Pour fabriquer une bombe A mes enfants croyez-moi C'est vraiment de la tarte
La question du détonateur se résout en un quart d'heure C'est de celles qu'on écarte

En ce qui concerne la bombe H c'est pas beaucoup plus vache Mais une chose me tourmente
C'est que celles de ma fabrication n'ont qu'un rayon d'action De trois mètres cinquante

Y a quelque chose qui cloche là-dedans J'y retourne immédiatement

Il a bossé pendant des jours
Tachant avec amour d'améliorer le modèle
Quand il déjeunait avec nous
Il avalait d'un coup sa soupe au vermicelle
On voyait à son air féroce qu'il tombait sur un os Mais on n'osait rien dire
Et pis un soir pendant le repas v'là tonton qui soupire Et qui s'écrie comme ça

A mesure que je deviens vieux je m'en aperçois mieux J'ai le cerveau qui flanche
Soyons sérieux disons le mot c'est même plus un cerveau C'est comme de la sauce blanche

Voilà̀ des mois et des années que j'essaye d'augmenter La portée de ma bombe

Et je n'me suis pas rendu compte que la seule chose qui compte C'est l'endroit où c'qu'elle tombe

Y a quelque chose qui cloche là-dedans,
J'y retourne immédiatement

Sachant proche le résultat tous les grands chefs d'Etat Lui ont rendu visite
Il les reçut et s'excusa de ce que sa cagna
Etait aussi petite

Mais sitôt qu'ils sont tous entrés il les a enfermés
En disant soyez sages
Et, quand la bombe a explosé́ de tous ces personnages Il n'en est rien resté

Tonton devant ce résultat ne se dégonfla pas Et joua les andouilles
Au Tribunal on l'a traîné́ et devant les jurés Le voilà̀ qui bafouille

Messieurs c'est un hasard affreux mais je jure devant Dieu En mon âme et conscience
Qu'en détruisant tous ces tordus je suis bien convaincu D'avoir servi la France

On était dans l'embarras
Alors on le condamna et puis on l'amnistia Et le pays reconnaissant
L'élu immédiatement
Chef du gouvernement