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Une conférence du Colonel Philippe POUVESLE.

L’OPÉRATION EGLANTINE

EGLANTINE

Les églantines, fruits d’un rosier sauvage, ont la particularité d’être consommables. Espérons que ce n’est pas cette particularité  qui a déterminé le nom de l’opération

 

Le repli d’Ankhé, ainsi baptisé, fut un échec coûteux en hommes et  en matériels. Remarquons que cet échec ne fut pas total. Une part importante des personnels de la garnison d’Ankhé , de l’ordre de 65%, et l’élément qui les avait recueillis parvinrent à rejoindre Pleiku. Par contre les pièces d’artillerie, les engins du génie la presque totalité des véhicules, blindés ou non, de la garnison furent perdus  et un certain nombre de véhicules de l’élément de recueil le furent également. Enfin les pertes de l’ennemi  ont été importantes même s’il était en mesure de les remplacer rapidement.

Échec lourd cependant, et depuis les appréciations et supputations sur ce qui a été fait ou ce qui aurait du l’être n’ont pas manqué. Nous aurons donc du mal à innover, mais il n’est peut-être pas inutile d’en faire le tour, non pour dégager une vérité, la vérité avec un grand V, mais pour rappeler les données d’un débat qui ne sera jamais clos …..les défaites sont orphelines et le nez de Cléopâtre est modelable à l’infini.

Nous vous proposons d’étudier successivement  :

-1-      Pourquoi le GM100 se trouvait bloqué dans Ankhé.

-2-       Pourquoi le MAINTIEN  à ANKHE  à la mi-juin.  

-3-      Le principe du REPLI et le choix de la date.

-4-      La solution retenue pour  l’appliquer.

-5-      Les modalités choisies pour  son exécution.

-6-      La sortie du camp retranché et l’EMBUSCADE du 24 juin.

-7-      Le recueil et le mouvement vers Pleiku.

 


 -1-       Pourquoi le GM100 se trouvait bloqué dans Ankhé.

La garnison d’Ankhé comprenait essentiellement le GM 100, qui, depuis le 6.avril avait été amputé de l’escadron  de chars légers du 5e Cuirassiers. Les 3 bataillons d’infanterie qui en composaient l’ossature avaient connu au fil des nombreux combats menés depuis Kontum une attrition que quelques rares renforts n’avaient pas fait disparaître. Les compagnies blanches du Régiment de Corée en souffraient particulièrement. Les compagnies jaunes des trois bataillons s’étaient fort bien comportées jusque là,  mais,  recrutées dans le Sud, beaucoup de leurs soldats souhaitaient  rentrer chez eux. Signalons en passant que beaucoup d’auteurs qualifient ces soldats de Cambodgiens, ce qui était effectivement pour une bonne part leur ethnie , mais originaires de Cochinchine ils étaient de nationalité vietnamienne. Les compagnies jaunes du I/Corée comptaient également beaucoup d’Annamites et même quelques Indiens.

Le moral des cadres et soldats européens restait élevés, malgré la tournure prise par la guerre. Conscients des dangers à venir, ils étaient résolus à y faire face, ce qu’ils feront  avec courage et détermination.

Le II/10e RAC et ces bataillons étaient maintenant parfaitement rodés à travailler ensemble

En dehors des éléments du Génie et des services, la garnison comportait le 520e TDKQ, bataillon léger de commandos ; de formation très récente n’avait pratiquement pas d’expérience de combat ; il apparaissait sans cohésion entre une troupe formée à la hâte  et des cadres recrutés suivant leur degré d’instruction générale et non leur aptitude au commandement.

Un  peloton du 4e ERVN, 3 AMM8 ET 2 Half-Tracks, de formation plus ancienne présentait un niveau légèrement  meilleur.

Contrairement à ce qu’ont écrit certains auteurs le GM ne disposait plus d’un peloton de chars seuls blindés aptes à manœuvrer réellement hors pistes.


 -2-       Pourquoi le MAINTIEN  à ANKHE  à la mi-juin.  

Dans le cadre du plan général du général Giap pour la campagne 53-54 (3)  le contrôle de la RC 19 est perçu  comme un objectif principal de l’ennemi., ; en juin il est en grande partie atteint puisque cet axe semble irrémédiablement coupé vers Qui Nonh et que la portion entre PK 11 et la lisière de la plaine de Pleiku constitue un coupe-gorge où l’on n’ose plus engager de convois.

Entre Pleiku, devenu le bastion avancé des Plateaux Sud et la cordillère annamitique, ne demeurent plus que le camp retranché d’An Khé et les poste de Myong Yang et de PK 22, qui semblent à la merci d’une attaque en force. Le périmètre d’action du camp retranché, quant à lui, s’est réduit progressivement sous la pression d’un ennemi de plus en plus actif.

Dans l’incapacité de dégager des renforts qui permettraient de rouvrir cet axe, l’EMIFT  a prescrit le 20 mai de replier sur Pleiku toutes ces positions. L’exécution de cette décision n’a; cependant pas , début juin, été entamée. 

Le général commandant le Secteur Opérationnel des Plateaux S.O.P. est réticent car il estime que cet abandon   permettrait aux forces ennemies de s’engager plus au sud  et leur ouvrirait  la route de Ban Mé Thuot, voire de Trois Frontières.

Il s’illusionne peut-être sur les possibilités d’action hors du camp retranché du GM 100, qui ne peut lancer  un nombre significatif d’unités hors de la cuvette sans risquer de voir l’ennemi submerger ce qui resterait de la garnison.


 -3-       Le principe du repli et le choix de la date.

A posteriori, un officier-général a écrit : «  pour éviter un hypothétique Dien-Bien-Phu on avait provoqué un très réel Cao Bang ».

Comparaison n’est pas raison et ceci n’est  pas aussi évident pour deux raisons :

d’une part, la cuvette d’Ankhé, assez vaste, n’était pas aussi dominée que  celle de Dien-Bien-Phu ; les forces ennemies avaient, aussi loin de leurs soutiens de Chine et du Tonkin,  une logistique beaucoup moins puissante et des moyens lourds, artillerie et DCA plus réduits. Les moyens aériens  amis partaient de base, navales ou terrestres plus proches ; leurs réactions furent d’ailleurs toujours aussi rapides qu’efficaces ; Il n’est donc pas certain que le Viet Minh aurait tenté un assaut du camp retranché alors que les négociations de Genève avaient commencé. Ceci fut confirmé au colonel Barrou lors de son interrogatoire et plus tard, par des anciens officiers de l’ALVN de rang élevé à l’ex lieutenant Quiniou du I/Corée lors de voyages dans la région ;

d’autre part comme nous l’avons dit plus haut , si l’ennemi obtint initialement un succès marquant, il ne réussit pas à anéantir la totalité du GM et encore moins le groupement de recueil.

Il est plutôt permis de penser que le souci de récupérer un élément encore puissant  pour des missions plus mobiles ait été déterminant pour le commandement.

Le 19 juin l’ordre tomba, la date initialement retenue étant le 25. En fait tout le monde, civils et militaires étaient au courant depuis au moins le 13 juin ; j’ai pu le constater à Nha Trang où j’étais hospitalisé. Pour bien confirmer la nouvelle, un pont aérien fut organisé pour évacuer un millier de civils et des matériels dits sensibles ; par exemple le Service des Essences remplit plusieurs avions de nourrices vides. La surprise, déjà si difficile à obtenir en Indochine, ne pouvait être espérée.

 


 

-4-       La solution retenue.

C’est là une question qui a fait couler beaucoup de salive et d’encre tant à l’époque que depuis plusieurs décennies. Le rapport des forces a évidemment joué un rôle  important dans ce choix ; pourtant je ne le traiterai que plus loin.

Plusieurs scénarii  ont été envisagés :

  • un repli vers Cheo Rheo,  par la brousse, car il n’existait qu’une ancienne piste  qui n’était   plus carrossable,; la suite des évènements montrera que les formations ennemies auraient eu  des difficultés pour intercepter des unités agissant  hors la RC 19, interception à laquelle elles se sont préparées depuis des semaines Cette solution imposait une condition plus que lourde : les 250 véhicules  et les matériels lourds-  canons,  engins du génie – devraient être détruits pour la plupart ;  leur  évacuation partielle  par avion supprimant tout effet de surprise ; un tel holocauste n’apparût pas possible, le précédent de la garnison de Cao Bang – 2 canons et quelques camions - à laquelle un tel ordre avait été donné et d’ailleurs non exécuté, ne pouvant  difficilement être étendu à de telles quantités ; un tel abandon, après la catastrophe de Dien Bien Phu, aurait entraîné dans toute l’Indochine un choc moral aux conséquences imprévisibles.

Toutes les autres solutions envisagées comportaient donc la sortie du GM avec les véhicules et les matériels lourds :

  • on évoqua la réouverture de la RC 19 entre Ankhé et Qui Nhon.via le col du Deo Mang ; elle rapprochait le GM 100 des appuis aériens  et même navals. Mais la route avait tellement été pianotée par l’ennemi qu’un tel mouvement aurait été très lent, donnant tout le temps à l’adversaire de concentrer des moyens importants alors que la garnison de Qui Nhon , devenu lui aussi camp retranché, n’était  pas en mesure de monter dans la cordillère pour  assurer un recueil ; les unités vietnamiennes réparties dans la bande côtière paraissaient peu sures ;  de plus il faut souligner que la volonté du commandement était de regrouper sur la RC 14 entre Pleiku et Ban me Tuot les GM 41, 42 et 100 afin de couvrir cette dernière ville et derrière elle Trois Frontières et Saïgon ; cette solution fut cependant  envisagée  comme un leurre destiné à attirer des forces adverses vers l’Est ; mais le commandement Viet Minh était-il si naïf ?….
  • Il ne restait plus au GM 100 qu’à s’ouvrir, presque certainement en force, la route de PK22 où un élément viendrait le recueillir  à partir de Pleiku ; devant la contradiction entre l’ampleur du combat à mener pour ce faire, et la protection de plus de 200 véhicules,  le colonel Barrou demanda à ce que des unités non motorisées viennent renforcer le GM, ce qui lui fut refusé ; mais après les ponctions opérées sur l’Annam et dans l’incertitude sur la fiabilité des formations vietnamiennes des unités pouvaient-elles être dégagées et acheminées à temps ? Rien n’est moins sur..

 -5-       Les modalités choisies pour son exécution.

Curieusement  un colonel venu de l’État-major du général Navarre fut désigné pour commander l’opération à partir de Pleiku, alors qu’il ne connaissait pas particulièrement  les données locales. Le commandement du S.O.P. se trouvait ainsi dessaisi.

La mission de recueil, à partir de PK 22 fut confiée au commandant du Groupement montagnard 42, le lt/cel Sockeel, disposant des ses moyens organiques, trois bataillons  montagnards et un groupe d’artillerie , d’un Groupement aéroporté à 2 bataillons, d’un peloton de chars. Et d’un peloton de reconnaissance. Toutes ces unités avaient fait leurs preuves au cours des mois précédents. Le GAP n’avait été accordé qu’avec, si vous me permettez l’expression, un élastique, le général Navarre ayant demandé au cel Sockeel de le ménager car il constituait sa dernière réserve parachutiste.
 Le GM 100 adopta un dispositif en 4 éléments successifs comportant chacun  un  certain nombre de véhicules et d’engins :

- le BM/43e RIC avec une batterie et des éléments du génie

- le 520e TDKQ et le peloton du 4e ERVN avec la CCS du regt de Corée la batterie de commandement  du II/10e RAC et le PC du GM

- le II/Corée avec une batterie

- le I/ Corée avec une batterie,  les services et l’antenne chirurgicale

Bien que les distances aient été réduites au minimum ce serpent de véhicules s’allongeait  sur une douzaine de kilomètres l’infanterie devant assurer la protection en avant et des deux cotés de la route.

En principe le GM devait effectuer  le 25 un premier bond jusqu’à PK 11, grande clairière où il pouvait se déployer, et de là gagner PK 22 en tenant compte de la situation constatée.

 


 -6-       La sortie d’Ankhé et l’embuscade du 24 juin.

Ses tentatives d’attaque sur un dispositif déployé, comme le 22 mars à Plei Rinh n’ayant pas été des succès, l’embuscade restait un des modes d’action préférentiels  de l’ennemi en particulier sur les Plateaux; il y excellait. Toujours bien renseigné sur notre dispositif et nos intentions, il la préparait minutieusement.

Il disposait de moyens de feu à courte portée importants, bien approvisionnés en munitions et pouvait littéralement assommer les éléments pris dans l’embuscade, après quoi une infanterie nombreuse donnait l’assaut.

Nos unités n’étaient nullement  désarmées devant de telles actions. Nos moyens de feu, artillerie et aviation, se montraient très efficaces quand ils étaient appliqués au moment voulu ; les unités solides et bien rodées savaient réagir lorsque le rapport des forces le permettait. Leurs réactions antérieures avaient  été grandement  favorisées par l’action des chars, mais nous avons vu que l’escadron du 5e Cuir avait été retiré au GM ; décision qui s’avéra lourde de conséquences.

Il n’y eut pas réellement de surprise quant au lieu de l’embuscade ; tout le GM savait être attendu à partir de PK 14, le problème était que le rapport des forces, compte tenu de ces paramètres, puisse nous être, sinon favorable, du moins pas trop déséquilibré.

 

                                                      Le parcours prévu.

C’est une idée souvent répandue  que nous ne savions pas grand-chose sur les forces à affronter. C’est relativement faux : leurs moyens étaient connus avec une assez bonne précision et leurs déplacements  pouvaient être détectés grâce, en particulier aux commandos qui mettaient à profit une végétation limitant les vues et la neutralité, sinon l’aide, d’une population montagnarde très clairsemée. Malheureusement les renseignements n‘indiquaient que des positions et des mouvements passés et il fallait les extrapoler pour imaginer la situation à affronter ; à un moment donné ; c’est là que le sort du GM s’est joué.

L’estimation des éléments ennemis susceptibles de l’intercepter variait de façon considérable suivant qu’elle était faite par le  GM ou  par le SOP  dont la vision est approuvée par  le colonel désigné pour commander l’opération qui se déclara,  je cite « absolument sûr de son dossier »

Pour le GM, dont l’OR était en liaison avec un commando particulièrement efficace,  2 rgts régionaux  et un groupement sont à proximité et le rgt Chu Luc 803 pourrait intervenir rapidement ; en tout de 7 à 10 bataillons

Pour le S.O.P.  les unités adverses proches n’auront pas le temps de se concentrer, ni le regt 803 d’intervenir car l’on estime que tous ne peuvent se déplacer que de vingt à vingt cinq kilomètres par jour ; le convoi  ne rencontrera donc que le bataillon identifié au plus près et quelques compagnies régionales et sera donc passé  sur leur ventre avant que l’ennemi ait rassemblé toutes ses unités. Une action d’un bataillon du 803 à Tuy Hoa le 21 renforce le SOP dans ses convictions.

En fait et une bonne partie des éléments de l’embuscade sont en place dès le 21 ; il semble qu’ils aient même réglé des tirs ; les autres sont capables d’effectuer des étapes de 50 kms. Et d’arriver pour l’hallali. Une patrouille légère de l’OR le 23 au soir détecte des préparatifs importants vers PK14. Le rapport de forces sera donc extrêmement  défavorable.

Finalement le PC de Pleiku décide d’avancer l’opération du 25 au 24 et de supprimer l’étape de PK 11 qui aurait permis de déployer au moins une partie de l’artillerie. Le rendez-vous du 25 de l’élément de recueil à PK 22 n’est pas avancé pour autant et l’aéronavale chargée de l’appui aérien n’est pas avertie. Donc pas de recueil et pas d’appuis pour compenser le déséquilibre ; pas de blindés susceptibles de sortir de la route pour dégager un bouchon.

 AN KHE 1 Colonne de vehicules partant d Ankhe                                     

Départ du convoi d’AN KHE.

 

Après la bataille du Jutland, Churchill disait de l’amiral Jellicoe qu’il avait toutes les qualités d’un Nelson, sauf une : « il ne savait pas désobéir ». L’on pourrait en dire autant du magnifique combattant qu’était le colonel Barrou qui a accepté ce rythme. On peut également lui reprocher d’avoir fait protéger son PC par le TDKQ  dont l’évaporation au premier choc livra l’EM et les moyens de commandement à l’ennemi.

En milieu de journée la présence ennemie à PK 15 est devenue une certitude alors que pour couronner tous les éléments défavorables le Morane d’observation pris dans les brumes n’arrive pas à franchir le col du Myong Yang, mais une patrouille de chasse qui survole le convoi signale des éléments au Nord-Est de l’arrière garde.

Vers 14 h alors que le BM 43 dégage des obstacles le peloton d’AM accélère dans son sillage retirant au PC sa dernière protection efficace ; c’est à ce moment où une énorme embuscade, où l’ennemi a engagé deux régiments, se déclenche sur 3 kms, emportant le PC que le II/Corée ne parvient pas à dégager. Les officiers supérieurs blessés ou tués, les moyens radios détruits le GM n’est plus commandé et n’a plus de liaison avec l’extérieur.

Je n’entrerai pas dans le détail des combats acharnés qui se déroulèrent ; le bilan est éloquent :

  • la colonne est coupée en deux ;
  • le BM 43 parvient à dégager deux compagnies et à rejoindre PK 22 avec une vingtaine de véhicules
  • . Le peloton d’AM est anéanti ; il ne reste plus que quelques soldats autour du cdt du TDKQ et de la CCS 100 ;
  • le II/corée qui a contre-attaqué à plusieurs reprises a vu deux de ses compagnies en partie décimées
  • le I/Corée par contre est encore capable d’agir avec ses 4 compagnies dont cependant deux réduites par les pertes antérieures à l’opération

Le commandant Kleinmann du II/Corée plus ancien prend le commandement des restes, les deux bataillons du rgt et une batterie qui a mis en batterie sur la route même. L e PC Églantine parvient à lui faire parvenir l’ordre de rejoindre PK 22 en dégageant les véhicules pour y attendre le GM 42 qui arrivera demain. Cet ordre est inexécutable et à 19 h le Cdt Kleinmann obtient l’autorisation de contourner le dispositif Viet par le Sud à travers la brousse pour rejoindre PK 22 après avoir détruit les véhicules et l’armement lourd.

 AN KHE 2 Antenne chir et mÃdic aprÃs embuscade

L'antenne chirurgicale après l'embuscade.

 


 -7-       Le recueil et le mouvement vers Pleiku.

Lorsque le GM 100 subit l’assaut adverse, le groupement de recueil, aux ordres du lt/col Sockeel, est encore, du fait de l’avancement de l’opération, à plusieurs heures du col du Mang-Yang où, selon les ordres,  il ne devait arriver que le 25 matin. En principe il devait marquer un arrêt sur la coupure de Dak Ryunh pour rétablir le passage et y laisser le GAP pour assurer la sécurité du retour vers Pleiku.

Cette étape dut être brûlée et le GAP fut poussé au plus vite vers PK 22 avec un appui d’artillerie ; le GM 42 suivit sous la protection mobile des chars. Il s’agissait à la fois de recueillir les éléments du GM 100 arrivant à travers la brousse et de tenir le col où des parachutages allaient apporter de quoi ravitailler les unités de recueil et donner aux unités exfiltrées les moyens de poursuivre le combat.

                                                Schéma de l’embuscade.

Dans la soirée du 24 le col Sockeel reçut l’ordre, signé Salan, de se porter à l’Est pour récupérer ce qui pouvait l’être du convoi Un contact direct avec le cdt du BM 43 l’avait convaincu de la quasi impossibilité d’une telle action, ,  le général SOP venu sur place approuvait ce point de vue. Sur un message comminatoire signé Salan confirmant l’ordre initial il répondit « formellement non ».Finalement le Col cdt l’opération venu sur place approuva cette position et Saïgon n’insista pas ; il faut dire que les renseignements indiquaient qu’un troisième régiment Viet était susceptible d’intervenir ; il le fera d’ailleurs comme nous le verrons plus loin.

Depuis le 24 au soir les éléments à pied du GM 100 qui avaient échappé à l’embuscade se frayaient un chemin à travers la brousse. Ce sont les bataillons du rgt de Corée, les artilleurs du RAC, les restes du TDKQ. Vu le terrain il a fallu les fractionner par petits paquets aux ordres d’un officier ou d’un sous-officier. L’ennemi tenta une poursuite mais aucune ligne d’interception ne s’offrait et la plupart parviennent à passer au prix de quelques accrochages. La résolution des hommes à échapper aux viets les soutenait mais cette équipée comportait bien des points noirs : certains s’égarèrent et seront capturés ; les blessés graves ne peuvent être brancardés par des hommes épuisés ; au mieux ils seront récupérés par l’ennemi, au pire ils mourront seuls dans la brousse. A partir du 25 matin le contact est pris avec les parachutistes à PK 22 et une noria de camions transporte les rescapés épuisés au col.

La pression ennemie se fait de plus en plus sentir et le soir, les rescapés se faisant de plus en plus rares PK22 est abandonné et détruit

La journée du 26 fut consacrée au recomplètement et à la réorganisation des unités grâce aux parachutages. Les hommes du GM 100 avaient gardé leur armement , mais outre les munitions et la nourriture il fallait souvent les rhabiller ; l’herbe à éléphant et les épineux sont mortels  pour les treillis. Saluons au passage le capitaine 4e bureau du GM 42  qui assura tout cela pour 8 bataillons, un groupe d’artillerie et deux éléments blindés.

Les unités ennemies avaient rejoint la zone et il fallait maintenant se frayer un chemin jusqu’à la plaine de Pleiku. Le Col Sockeel allait pour cela mener un combat d’infanterie par bonds successifs.

Le premier  démarra à l’aube du 27 et aboutit à la conquête du passage de Dak Aynh et à la destruction du bataillon viet qui l’occupait, ; ce fut l’œuvre du I/Corée couvert sur les hauteurs par des bataillons montagnards et bien appuyé par l’artillerie et l’aviation.

Il restait une trentaine de kilomètres de zone dangereuse à parcourir et le GAP les fit de nuit pour installer à son  débouché un pivot pour le bond suivant qui était gros de menaces car c’était pour l’ennemi la dernière chance de détruire la colonne.

Le 28 la progression reprit par bonds successifs toujours couverts sur les hauteurs par des bataillons montagnards particulièrement aptes à cette mission. A midi elle atteignit une clairière assez vaste pour permettre le déploiement de l’artillerie et le regroupement du convoi. Mais le dispositif n’était pas encore totalement en place lorsque l’attaque ennemie se déclencha peu après  midi sur près d’un kilomètre principalement au Nord de la RC 19; bien coordonnée, elle n’était pas improvisée ; la progression assez lente de la colonne avait donné au commandement viet le délai pour l’organiser en un point où il était logique que la colonne s’arrête.

Si cette attaque fut très violente la réaction de nos unités fut à sa mesure, les unités s’accrochant au terrain et l’artillerie débouchant à zéro. Cette réaction fut grandement aidée par un appui aérien aussi massif que précis. Les éléments ennemis qui avaient pénétré le périmètre furent rejetés par une contre-attaque et vers 13h30 les unités viets décrochèrent.

Nos pertes furent sensibles, une vingtaine de tués, non seulement au contact mais parmi les éléments de la colonne qui n’avaient pas encore rejoint le périmètre de sûreté. Celles de l’ennemi étaient considérables ; 250 corps furent dénombrés à proximité de la position et un camion put être chargé d’armes récupérées.

Le 30 juin, après un bivouac en plaine, la colonne rejoignait Pleiku. L’opération Eglantine était terminée. Je n’ajouterai pas un commentaire à la masse de ceux qui ont été faits à son sujet mais je crois être l’interprète de la plupart des survivants en exprimant l’admiration pour le sang-froid et l’habileté manœuvrière du col Sockeel.

Les restes du GM100 participèrent ensuite à la défense de Pleiku qui fut bombardé et harcelé mais pas vraiment attaqué. Le I/Corée, ou plutôt ce qu’il en restait, fut encore engagé fin juillet dans l’opération Myosotis, aux coté du GM 42. Il fut pratiquement anéanti le 17 juillet dans une embuscade au col du Chu Dreh entre Pleiku et Ban Me Thuot; trois jours avant les accords de Genève.

                                 Colonel Philippe POUVESLE.

 

(Le texte ci-dessus m’a été transmis, par le Col P.Pouvesle, fin juin 2009)

                                                                                 Louis-René THEUROT